Chapitre Wallonie de l'Internet Society - ISOC Belgium (Wallonia) Chapter Ico-Boule-rouge.gif (898 octets) Internet et famille : du plus petit au plus grand
4èmes rencontres de l'ISOC Wallonie
Vendredi 5 décembre 2003 Ico-Boule-rouge.gif (898 octets) 16h30-19h30
Namur
Ico-Boule-rouge.gif (898 octets) FUNDP Ico-Boule-rouge.gif (898 octets) Institut d'Informatique

 

Université catholique de Louvain (UCL) Thierry De Smedt

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Eduquer aux risques liés d'Internet: un enjeu citoyen
Professeur au département de Communication, Groupe de Recherche en Médiation des Savoirs,

Université Catholique de Louvain (UCL)

On a beau aimer Internet, on doit admettre qu'il n'est pas sans dangers. Contenus préjudiciables, pratiques frauduleuses, falsification d'identité … se glissent inévitablement sur la Toile. Il est d'autant plus important de former des jeunes autonomes, critiques et responsables, capables d'apprécier les richesses de ce média, en échappant habilement à ses dangers. Qu'est ce qui rend Internet dangereux ?

Internet présente les dangers de ses qualités.

-          Les pourvoyeurs de messages sont innombrables et diversifiés. L'offre d'informations et de requêtes en tout genres et sous toutes formes est par conséquent abondante et de qualité inégale.

-          C'est l'utilisateur qui pilote sa navigation : aucun responsable de média ne fait des choix éditoriaux à sa place. Rançon de cette liberté, le jeune navigateur peur aller où il veut, au hasard de ses découvertes et en subit les conséquences, bonnes ou mauvaises.

-          Internet est peu surveillé.

-          L'usage d'Internet, notamment par les jeunes, est souvent individuel.

-          Internet est encore en pleine invention de lui-même. Les codes et conventions de son usage sont par conséquent flous et instables.

Surfer sur Internet, c'est souvent naviguer à vue. Les parents, les enseignants, les éducateurs s'en inquiètent. Mais les jeunes en ont-ils toujours conscience ? Avec les nouvelles technologies de la communication, la réponse consiste généralement à mettre les jeunes à l'abri derrière des boucliers comme le filtrage, les listes noires, les labels… Pourtant, ces dispositifs sont loin d'êtres sûrs : tantôt ils sur-filtrent des informations sans dangers, tantôt ils laissent passer des données dangereuses, habilement encodées. De plus, ce qui peut se révéler préjudiciable à un jeune ne le sera pas automatiquement pour un autre. Enfin, ces dispositifs de protection risquent d'entraîner un " effet airbag " plus dangereux encore : les jeunes se croient en sécurité, leur vigilance se met en sommeil. Le jour où ils se retrouvent sur Internet sans garde-fous, ou qu'une information dommageable passe à travers les mailles du filet filtrant, ils sont sans défenses. Paradoxalement, le désir de protéger les jeunes les rend, au bout du compte, inaptes à identifier et contourner les écueils.

Le pari éducatif

L'approche originale du projet Educaunet réside dans le choix d'une méthodologie centrée sur l'autonomie et la responsabilisation des enfants et des adolescents face aux usages d'Internet. Le postulat de la démarche est que l'éducation joue un rôle primordial dans la sécurité des usages d'Internet. Cette approche complète, met parfois en cause, les dispositifs de filtrage, de sécurisation et de classement dont l'existence n'offre jamais une garantie totale de protection. Ces outils exigent de leurs utilisateurs des compétences et des attitudes de vigilance que seule une approche éducative peut activer.

La nécessité du risque

Comme le disait la philosophe Isabelle Stengers au cours de nos premiers travaux sur la question des risques sur Internet, jetant ainsi les bases de l'orientation qu'allait prendre le projet, "beaucoup de cultures ont cette singularité d'être des cultures du risque, c'est-à-dire une pensée de ce qu'un humain doit risquer pour devenir adulte. C'est peut-être par rapport à cette notion de culture du risque, de pensée du risque, que notre situation est curieuse. Pourquoi ? Parce que d'un côté, nous avons une espèce d'idéal d'éviter le risque, c'est-à-dire de mener les jeunes tranquillement, comme sur un bateau, dans la pure bonne volonté de dialogue général, vers l'état d'adulte. Nous avons une sorte d'idéal de non-risque, selon lequel le risque est dangereux et le danger devrait être évité. De l'autre côté, on soumet ces jeunes générations à ce que j'appellerais "des risques éminents", mais que justement on ne cultive pas, puisque ces risques sont là, sur fond d'un idéal de non-risque. Parmi ces risques éminents, je vois l'ensemble des opérations sociales, socio-économiques, socio-politiques même, qui s'adressent à ces nouvelles générations comme à des "jeunes", que ce soit la publicité, les sondages d'opinion… où l'on spécule sur ce que les jeunes vont penser, vont désirer. De ce point de vue-là, nos sociétés se payent des risques anthropologiques qui ne sont ni pensés ni voulus, qui se font dans la non-pensée, dans l'évidence la plus bizarre de bonne volonté, ou de fatalisme.

Le pédopsychiatre Philippe van Meerbeeck, de son côté, insiste sur le rôle central de la prise de risque dans la post-adolescence : L'adolescence, c'est l'âge des risques car les jeunes sont attirés, aspirés par lui. La mise en garde attire. Et l'on a besoin du risque pour grandir. Le risque est une initiation. Il n'y a plus de rites de passage à la puberté comme dans les sociétés primitives, ni de mythes explicatifs de ce cheminement. Auparavant, les adultes prenaient en charge ces rites. Aujourd'hui, le travail de passage existe toujours mais c'est au jeune que revient la charge de l'inventer. Le rite du risque l'aide à dépasser sa peur. Il découvre en effet qu'il n'est pas tout et doit alors dépasser sa peur. Le risque aide à sublimer le deuil de soi, la castration. Ainsi faut-il rendre sa place au risque, en l'encadrant. Philippe van Meerbeeck va plus loin et signale, à la lumière des cas concrets qu'il est amené à soigner, que certains jeunes éprouvent le besoin de se “ mettre à mal ”, c'est-à-dire de s'infliger des dommages, pour réussir à faire le deuil de certaines qualités idéales qu'ils s'attribuaient, dont ils constatent, douloureusement, qu'ils sont dépourvus et qu'ils ne les auront jamais. Certains pratiques dangereuses des jeunes (conduite sportive, percements de la chair, drogue, boisson, tabac, “rave-party's”, jeux hallucinatoires en réseau, etc.) illustrent ce besoin d'une mise-à-mal purificatrice. Enfin, le pédopsychiatre voit en Internet le lieu d'une expérience possible de rencontre d'autrui facilitée par la distance du réseau : autrui est moins dérangeant si l'on est protége par le filtre de l'écran, du clavier et de la connexion. Pour des jeunes, idéalistes, qui craignent la rencontre réelle et ses implications, Internet est parfois un terrain de rencontre moins inquiétant, au risque de s'y cantonner, que le monde traditionnel.

Ces réflexions précieuses conduisent à penser que le risque et ses conséquences parfois néfastes jouent des rôles importants dans l'éducation d'un jeune, non seulement à pratiquer Internet, mais aussi à évoluer de manière autonome et responsable dans la vie réelle.

Communiquer dans le brouillard

Lors d'un séminaire de formation du projet Educaunet, un débat fructueux avec les parents, les éducateurs et les enseignants présents a apporté des nouvelles vues sur la nature des risques d'Internet : communiquer sur Internet serait comme communiquer dans le brouillard.

Dans une communication ordinaire, la compréhension et l'interprétation des messages échangés s'effectuent à partir d'éléments contextuels : l'apparence de l'interlocuteur, la situation dans laquelle on se trouve, la raison de la rencontre, la nature de la relation à autrui, une idée de ses intentions…

La communication médiatique est déjà plus indifférenciée, plus décontextualisée et plus anonyme. Néanmoins les médias offrent des régularités qui aident à les classer en quelques catégories à partir desquelles leurs messages sont plus faciles à comprendre. Sur Internet, la diversité est encore plus grande et les risques de faire illusion (ou d'en être victime) le sont aussi. Comme le faisait remarquer un enseignant présent au séminaire, dans une situation ordinaire, c'est le contexte de communication qui règle ce qui peut et ne peut pas être dit, ainsi que les manières convenables de communiquer sans blesser.

Or Internet est un espace de communication décontextualisé. Chacun est dans son contexte propre, mais en contact avec celui d'autrui. Dès lors, ce qui semble admissible à l'un peut être choquant ou préjudiciable pour l'autre. Comment saisir sans se tromper la portée d'une information lorsque, par-delà les langues, les cultures et les conventions, les contextes propres aux partenaires de la communication diffèrent profondément ?

Cette divergence est encore aggravée par l'interface sécurisante de l'ordinateur. Cette machine semble promettre d'accéder à la vérité, à la communication transparente et à la recherche réussie. En réalité, le surfeur avance dans le brouillard. Il entre, de clic en clic, dans des univers inconnus aux normes difficiles à identifier. Éduquer aux risques d'Internet, c'est apprendre aux jeunes à naviguer avec succès à travers les brumes d'univers pleins de richesses, mais aux profils multiples et changeants.

Il découle de ces considérations, que l'autonome et la sécurité du jeune ne passe pas par une protection systématique. C'est plutôt une initiation progressive à vivre, dans un espace de dialogue intergénérationel et entre pairs, des situations imprévues tantôt positives tantôt négatives, de réussite et d'échecs, pour apprendre, à partir d'un maximum d'indices, à flairer, sans perdre son enthousiasme, les conséquences possibles de ses pratiques d'Internet.

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Chapitre Wallonie de l'Internet Society (Isoc Wallonie) Page mise à jour
le 21-01-2004